dimanche 22 mars 2015

Danser les Ombres, de Laurent Gaudé



Lucine, Saul, Matrak, Pabava, Blanche, Viviane, des marionnettes aux mains des forces naturelles, de la mort, celle qui prend le temps de les réunir, une dernière fois, pour les livrer au grand chaos.
Danser les Ombres...  Qui sont ces ombres qu'il faut "danser"? Cet homme - esprit qui, en plein marché, pose son regard sur Lucine? Nine, sa soeur, morte dans une sorte d'extase ou bien Lucine elle-même qui n'a pas vécu sa vie?
Est-ce Saul, bâtard flottant entre deux origines, Firmin en proie aux démons d'un passé sanglant, ou enfin Blanche, condamnée aux chambres aseptisées, pour qui la vie grouillante, parfumée, bavarde, épicée de Port-au-Prince est un monde inatteignable?
A travers ces personnages, nous replongeons dans les années de dictature de Papa Doc et les séances de torture des opposants, mais aussi dans un monde où les esprits errent dans les rues, annonçant la mort.
Puis: l'horreur, le séisme suivi de ses répliques, les bâtiments qui s'effondrent, les rues qui disparaissent en quelques secondes et la terre qui engloutit les vivants, réveille les morts et sépare Lucine de l'homme qu'elle s'est mise à aimer, Saul.
Laurent Gaudé, dans ce roman, emmène le lecteur là où il ne s'y attend pas. C'est un texte fort et littéraire sur la tragédie de 2010, une évocation émouvante, dont les personnages resteront des ombres plongées dans un pays en ruines.
Ce roman, lu dans le cadre des Lecteurs pour le Prix Relay des Voyageurs 2015, est une belle découverte, en partie parce que j'avais des a priori sur l'oeuvre de Laurent Gaudé.


Hommes, ce qui est sous vos pieds vit, se réveille, se tord, souffre peut-être ou s'ébroue. La terre tremble d'un long silence retenu, d'un cri jamais poussé. 


Hommes, trente-cinq secondes, c'est un temps infini et vos yeux s'ouvrent autant que les crevasses qui lézardent vos routes et les murs des maisons. En ce jour, à cet instant, tous les oiseaux de Port-au-Prince s'envolent en même temps, heureux d'avoir des ailes, sentant que rien ne tiendra plus sous leurs pattes, et que, pour les minutes à venir, l'air est plus solide que le sol.


Arindam Banerjee, 123images


A propos du séisme de 2010, il y a également Tout bouge autour de Moi,d'un écrivain que j'aime beaucoup, Dany Laferrière, présent ce jour-là et qui retrace les premiers jours qui ont suivi la catastrophe.

Si je repasse si souvent dans ma tête ces minutes qui précèdent l’explosion c’est parce qu’il est impossible de revivre l’événement lui-même. Il nous habite trop intimement. Aucune distance n’est possible avec une pareille émotion. C’est un moment éternellement présent. On se rappelle l’instant d’avant dans les moindres détails.

A lire aussi: De l'un à l'Autre : Danser les Ombres / L'Homme qui rit

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