dimanche 27 septembre 2015

La Case de l'Oncle Tom, d'Harriet Beecher-Stowe

Je précise tout d'abord que c'est la version intégrale (ici 610 pages en format poche) que je viens de lire, et non la version adaptée pour les enfants. La différence tient, je pense, au fait que dans la version originale, les portraits sont beaucoup moins manichéens et la réflexion plus développée.

L'oncle Tom en est le personnage principal, mais on suit également la route d'Elisa, son mari Georges et leur petit Henri; Tous sauf Georges font partie des esclaves de M. Shelby, propriétaire généreux et de bon tempérament, en grande partie encouragé par sa femme qui se tourne de plus en plus vers l'abolitionnisme. Suite à des revers de fortune, M. Shelby se voit contraint de vendre ce qu'il a de plus cher. Affolée, terrorisée à l'idée qu'elle puisse perdre son fils vendu à d'autres propriétaires qu'elle-même - courant sur les marchés d'esclaves où l'empathie envers les esclaves n'existe pas ou si peu - Elisa s'enfuit avec lui pour tenter de rejoindre Georges. De son côté, Tom obéit, après avoir obtenu la promesse de M. Shelby qu'il serait racheté dès que possible.

C'est ainsi qu'on suit les destins parallèles d'Elisa et de Tom, l'une poursuivie, traquée, l'autre vendu à M. Saint-Clare pour sa petite fille Eva. Il y rencontre la bonté, l'affection et l'intelligence d'un père et d'une fille pour lesquels il deviendra indispensable, avant d'être vendu à nouveau, après de tragiques circonstances, à Simon Legree, esclavagiste monstrueux et violent.
Tout l'intérêt de ce roman, outre de créer de l'empathie pour ces personnages maltraités, coupés de leur famille, qui n'aspirent qu'à la liberté et l'instruction, est de faire un tour complet de la question de l'esclavage: la cruauté dont sont traités ces hommes, femmes et enfants, l'ignorance et l'insécurité dans lesquelles ils sont entretenus, la culture sudiste des plantations et de l'esclavagisme contre la critique hypocrite des états libres du nord qui jouent le jeu des marchés d'esclaves, l'impact de la tradition des familles de planteurs, le questionnement sur la manière de bien traiter ses propres esclaves en humaniste,  et l'importance de la religion, autant dans le comportement des propriétaires d'esclaves que dans l'acceptation de leur sort pour les esclaves, mais aussi la question de l'avenir de ce peuple qui, une fois affranchis, devra apprendre à vivre libre, devra s'instruire et travailler (A ce sujet, Beloved de Toni Morrison fait un portrait très réaliste de cette problématique).

Quand Harriet Beecher-Stowe a écrit ce livre, l'esclavagisme était encore bel et bien actif et légal et l'auteure, malgré la montée de l'abolitionnisme, ignorait quand et comment ou même si l'esclavagisme serait un jour banni, et c'est un point important, je pense, à retenir quand on lit ce livre.
C'est vrai que la religion y est très présente et pesante, c'est vrai que les bons sentiments y sont parfois trop bons, mais le portrait qu'elle dresse des Etats-Unis - et pas seulement du Sud - est vraiment captivant, tout comme l'est le portrait de Saint-Clare tout en ambiguïté.
Historiquement, ce roman a eu une forte répercussion; il fait partie des tout premiers best-sellers, deuxième après la bible aux Etats-Unis. Lincoln a d'ailleurs dit, en parlant de la guerre civile, "voici la petite femme qui a commencé une grande guerre", insinuant que ce roman a profondément marqué les esprits.

Je trouve que l'écrivain a déjoué les pièges de la caricature et encourage - sans juger - son peuple à se remettre en question en les incitant à se mettre à la place d'Elisa ou de Tom, mettant Blancs et Noirs à égalité à une époque où cette égalité semblait aberrante ( et cette époque n'est vraiment pas très ancienne...).

Je dirai enfin que ce livre est tout simplement émouvant et plein d'aventures, et qu'il se lit très facilement. 

samedi 19 septembre 2015

Danse Noire, de Nancy Huston

Ce que j'aime et qui me fascine dans les romans de Nancy Huston - et les essais - c'est l'originalité de la trame. L'intrigue n'est jamais linéaire, il y a plusieurs points de vue qui s'emmêlent, donnant une vision cubiste du thème du livre.
Ici, il y a trois parties, qui s'enchaînent systématiquement - 123, 123, 123 etc.
Neil Kerrigan, Irlandais né au début du vingtième siècle, fils de juge , Milo, son petit-fils de sang indien, abandonné par ses parents à Montréal, et Awinita, la mère de Milo, indienne accro à l'héroïne qui se prostitue pour nourrir frères et soeurs vivant dans une réserve canadienne. Trois destins liés les uns aux autres autour du personnage central, Milo, mourant, dont son amant retrace la vie en élaborant avec lui le scénario d'un film biographique.
Nancy Huston ne se contente jamais du plus simple. Angles de vue variés, relations familiales complexes, introspection, et points de vue artistiques sont ses chevaux de bataille.
Ici le regard froid d'une future caméra se confronte à l'amour que porte son amant à Milo, choisissant dans le passé de celui-ci ce qui en a fait l'homme qu'il est, passif, fascinant, plongé dans des moments de noirceur absolue, généreux.
Nancy Huston est tout sauf une écrivaine mièvre et légère, et son intransigeance ainsi que son caractère passionné se lit à chaque page. Je pense que c'est cette intransigeance et cette passion qui me rebute parfois lorsque je reprends la lecture, cette âpreté épuisante qui fait que j'apprécie moins le récit, mais j'ai aimé que ce récit se déroule en Irlande ET au Québec, et cette progression vers un présent de plus en plus proche sur trois périodes différentes. c'est une lecture à tenter, qui ne satisfera pas tout le monde. 

samedi 12 septembre 2015

Sansonnets, un cygne à l'envers, de Pierre Thiry

A la lecture de ces poèmes, on devine rapidement l'animateur d'atelier d'écriture! Jeux de mots, contraintes lexicales, variantes... c'est ce qui m'a intéressée au début de ma lecture; ce qui peut en résulter de magique et de nouveau. 
J'avoue quand même que je ne suis pas une grande fan des allitérations que l'on retrouve dans pas mal de poèmes et j'ai compris aussi que je préfère largement, en terme d'harmonie pour mes petites oreilles, les rimes embrassées et féminines aux rimes plates et masculines, qui semble être la préférence de l'auteur. 
Mais au détour de certaines pages, j'ai découvert avec plaisir des poèmes vivants, touchants et amusants que je relis avec plaisir et que je lirai bientôt à mes enfants: Les Loutres n'aiment pas et son pendant C'est Peut-être Poétique, Gaston, pour en citer quelques-uns.
Je remercie Pierre Thiry pour ce recueil plein de fantaisie!

mardi 8 septembre 2015

Marre du rose, de Nathalie Hense et Ilya Green


Pari risqué. Moi, ma petite fille aime le rose, ainsi que les robes de princesse, les poupées et les tralalas, absolument pas comme celle de ce livre qui ne jure que par le noir. Heureusement, toutes les deux ont les cheveux longs, une zézette et des barrettes et des pierres qui brillent, toutes les deux aiment les dinosaures, grimper dans les arbres, les grues qui construisent des tours, et toutes les deux connaissent au moins un petit garçon trop sensible et qui aurait aimé recevoir des perles ou un château de poupée.
Dans ce livre, la mère de la petite fille dit qu'elle est un garçon manqué, elle qui se trouve plutôt une fille réussie; et à la question de savoir pourquoi il y a des jouets pour les filles, et des jouets pour les garçons, on lui répond "c'est comme ça..."

Tout ça paraît plutôt anodin, la question du genre ressassée dans les médias. Mais les enfants, eux, se retrouvent très vite, si on n'y prend pas garde, embrigadés par cette loi de "c'est pour les filles / c'est pour les garçons" et les voilà coincés dans ces préjugés et cette barrière qui les prive d'une simple liberté d'être.
Ma fille a absolument le droit d'aimer le rose, comme celui de garder ouvertes les portes qu'on aurait tendance à lui fermer trop précipitamment, à l'école, dans la rue, chez ses petites copines et ses petits copains, et chez elle-même aussi, malheureusement.
Voici un beau livre qui fait réagir les enfants, toujours si épris de justice, et dont les illustrations sont savoureuses, les couleurs si vives et la représentation des enfants si vivantes! J'avais déjà beaucoup aimé celles de Bou et les Trois Zours, d'Ilya Green. Je recommande.